Plaidoyer pour l’arbre mort !


Nous les croisons parfois aux bords des chemins forestiers, en longeant une vieille haie bien embroussaillée, solitaires en plein champs agricole ou nous n’en apercevons que les restes: des troncs à l’écorce en lambeau, au bois exposé aux intempéries, blanchis soutenant encore de grosses branches raccourcies bien souvent réduites à de simples moignons… et nous passons notre chemin en les ignorant au mieux et bien souvent en souhaitant qu’ils soient rapidement abattus !

Arbre mort

Notre premier rapport avec l’arbre mort est avant tout visuel: nous le repérons de loin. Là ou les feuilles inondent une mer de verdure, une irrégularité dans les tonalités de vert attire notre œil.  Un espace où se découpe des lignes sombres qui se dressent vers le ciel focalise notre attention. Il est là; mort sur pied mais bien visible. Les houppiers voisins dessinent en négatif ce qui fut l’importance de son royaume feuillé à l’heure de sa toute puissance.

Car cet être aujourd’hui défeuillé en plein été, dépouillé de son ramage, nous révèle alors sa nudité. Ne pourrions nous pas en apprécier tout d’abord et simplement la dimension esthétique ?

A la lecture de la préface de l’ouvrage « Bois mort et à cavités, une clé pour les forêts vivantes » (Editions Tec & doc, Lavoisier n° ISBN 2-7430-0797-4) publié en novembre 2005, nulle allusion à la dimension esthétique, aux sentiments que suscitent la contemplation de tels spécimens morts, aux messages qu’ils nous adressent, aux émotions qu’ils suscitent en nous. Les argumentaires scientifiques sont avancés et priment. Sur les 42 chapitres de l’ouvrage, seul Bernard BOISSON au chapitre 33 aborde le sujet de l’arbre mort sous l’angle de l’émotion, des sensations et des sentiments. Son auteur conclut en souhaitant notamment qu’ils soient présents « en abondance dans les paysages qui sont déjà pour nous suggérer des sensations de bouts du monde ». Nous le rejoignons.

Chataigniers morts

 

Comment expliquer cette attitude d’indifférence ? En aurions nous peur ? Comment y remédier ?

Conformément aux engagements pédagogiques statutaires de Forestiers du Monde, nous proposons d’ouvrir un nouveau champ de réflexion sur la thématique de l’arbre mort remarquable. Nous aborderons sommairement et l’une après l’autre la thématique de l’arbre remarquable vivant, la thématique de l’arbre mort pour découvrir combien le temps est sans doute venu de prendre en considération l’arbre mort remarquable.

Petite histoire de l’arbre remarquable vivant

L’intérêt porté aux arbres vivants remarquables est une préoccupation déjà ancienne pour l’administration forestière. En effet, une circulaire du 29 juin 1899 de la direction des Eaux et Forêts préconise que les arbres remarquables doivent être l’objet d’une protection constante, être maintenus sur pied le plus longtemps possible et pour cela être inventorié. Ainsi, en application de cette circulaire, une liste d’arbres remarquables est dressée en 1911 en France dans chaque conservation des Eaux et Forêts. Cette énumération comporte le nom de l’arbre (s’il existe), sa localisation, ses dimensions et les motifs de son inscription. Les arbres inscrits ne peuvent alors être coupés qu’après l’autorisation spéciale du directeur. Cette première liste a été mise à jour et complétée en 1935.

Nous ferons observer également que cette démarche de conservation d’arbres remarquables par inscription est contemporaine des premiers textes législatifs de protection des monuments historiques.(1913 ; 1930).

Des arbres non forestiers ont ainsi été classés au titre de ces législations, ce qui par la suite a posé quelques problèmes de gestion, un arbre, même classé, étant naturellement amené à mourir.

Ensuite, cette démarche s’estompe peu à peu… les textes n’étant cependant ni abrogés, ni remis au goût du jour ! Quelques initiatives locales ont sans doute été engagées cependant. Pour sa part l’Office national des Forêts publie en 1991 une instruction sur les actions en faveur des milieux et des espèces animales ou végétales remarquables stipulant notamment que les arbres remarquables répertoriés doivent figurer au sommier de la forêt. Le sommier de la forêt est un document mémoire. Une telle inscription est importante et constitue un acte de gestion à long terme.

Notons en 1998 la publication par l’ONF du guide de gestion « Les arbres remarquables en forêt » traitant exclusivement de la gestion des arbres remarquables en milieu forestier. Il est commercialisé (n°ISBN 2-84207-211-9). Dans nos librairies habituelles, se trouvent désormais de magnifiques ouvrages photographiques destinés à faire découvrir les arbres remarquables dans le monde, dans un pays, une région ou encore un département. Ils s’inspirent tous de cette démarche historique de l’administration forestière ici évoquée.

Mais comment vous l’avez lu, nous ne parlons ici que d’inventaire d’arbres vivants.

Intéressons nous maintenant à l’arbre mort.

Nous portons à votre connaissances quelques ouvrages qui traitent de la problématique de l’arbre mort; synthèse d’études, fruits de réflexion ou outils pédagogiques.

Arbre mort en milieu forestier.

L’ouvrage intitulé « Initiation à l’environnement naturel » (Édition n°01 juin 1989 n° ISBN 2-904-384-22-7) « résultat de dix années d’expérience du centre ONF d’information forestier de Sénart et d’une étroite collaboration entre l’Éducation Nationale et l’Office National des Forêts » selon les termes du directeur général de l’Office National des forêts auteur de la préface  indique seulement en page 37 ( fiche 6) que l’arbre est un être vivant qui vieillit et meurt.

« Bois mort et à cavités, une clé pour les forêts vivantes » (ouvrage publié en novembre 2005 déjà présenté ci-dessus) livre une synthèse sur le rôle des arbres vétérans, à cavités et du bois mort pour la conservation d’une riche biodiversité cavicole et saproxylique associée, ainsi que leur intérêt pour le fonctionnement de l’écosystème. Il fait suite au colloque du même nom organisé par WWF, la FRAPNA et LECA du 25 au 28 octobre 2004 à Chambéry.

Publié pour sa première en avril 2007 par Forestiers du Monde, conçu par trois membres bénévoles de cette O.N.G.E. l’ouvrage pédagogique gratuit intitulé « Bâtir la forêt. Ensemble, luttons contre l’effet de serre et luttons contre l’effet de serre par l’afforestation biodiverse » (n° ISBN 2-9525544-0-4) pose tout d’abord en page 30 la question « Pendant combien de temps un arbre est-il visible ? » En réponse, les phases notamment de sénescence et de bois mort sont indiquées. Outre une illustration en page droite d’un cycle complet de vie d’un arbre ( croissance, maturité, sénescence, mort).

Par ailleurs, en page 32 la question « Faut-il abattre tous les arbres morts ? » est posée. Une réponse est avancée : « les arbres âgés, morts ou abritants des cavités, sont indispensables au maintien de nombreuses espèces. Les espèces liées à l’arbre mort sont différentes suivant sa position (debout, couché) son degré de pourriture son humidité, son exposition, sont type d’écorce, son diamètre, etc. » Un conseil est également présent « Au stade de la plantation, il n’y a pas encore d’arbres morts. Il faudra veiller à ce qu’on ne le retire pas tous »

En novembre 2008, les éditions NATHAN publie avec France Bois Forêt, l’interprofession Bois nationale « France Bois Forêt », un supplément au «Journal des enseignants de l’école élémentaire (JDI) » intitulé « Au cœur de la forêt et du bois ». En page 22, s’agissant du traitement de la thématique de la biodiversité, il est précisé: « Conserver des arbres morts; la meilleure façon de préserver la biodiversité est de protéger les habitats des espèces en présence. Ainsi les arbres morts, gisants ou sur pieds, que l’on peut voir en forêt n’ont pas été laissé là par oubli… Ils sont un réservoir de nourriture et un abri pour certains oiseaux comme les pics ou mammifères comme les chauves souris. De nombreux insectes et champignons se nourrissent aussi du bois en décomposition.»

Rappelons que la mort de l’arbre est un phénomène naturel et caractéristique de tous les êtres vivants: ils finissent tous un jour ou l’autre par mourir. Ainsi à la phase de croissance en hauteur et en diamètre succède la phase de maturité, puis la phase de sénescence annonciatrice de la mort de l’arbre, lequel sans intervention extérieure (bucheron, vent violent, etc.) meurt donc debout puis finit par s ‘écrouler sur le sol sur lequel il pourrit.

L'arbre mort abrite de vies !

A chacune de des phases, une faune et une flore trouvent alors un milieu propice pour se développer ou s’abriter. Ainsi dit-on que l’arbre mort est un véritable HLM (habitat à loyer modéré) pour la faune. Nous ne pourrons pas ici énumérer toutes les espèces vivantes qui colonisent l’arbre dépérissant. Il n’est d’ailleurs pas certain que cet inventaire soit aujourd’hui achevé !

Citons, pour la faune sauvage, au titre de la classe des insectes, les saprophages (insectes qui au cours d’une phase de leur développement se nourrissent de bois mort) et parmi le plus connu le lucane cerf volant (Lucanus cervus) dont la larve se nourrit exclusivement de bois mort. Pour les oiseaux, nous évoquerons le pic noir (Dryocopus martius) qui creuse une cavité souvent utilisée ultérieurement par le chouette de tengmalm (Aegolius funereus). Pour les mammifères, citons les chauves souris qui trouvent un abri naturel au sein des cavités arboricoles forestières telle la barbastelle (Barbastella barbastellus). Pour les  amphibiens et les reptiles, citons la salamandre (Salamandra salamanadra) et la couleuvre de Montpellier (Malpolon monspessulanus)qui trouve s’abritent en forêt parfois au coeur des arbres morts gisants au sol.

Enfin, n’oublions pas l’arbre mort de berge, tombé à l’eau. Lui aussi va accueillir une petite faune qui trouvera localement un milieu propice du fait notamment des modifications de l’écoulement de l’eau, créant ici une accélération du courant et là une zone de gravières favorable au petit gravelot (Charadrius dubius).

Et l’arbre mort remarquable ?

En effet, après avoir traité de l’arbre remarquable vivant, puis de l’arbre mort, il manquait d’aborder enfin le caractère remarquable de l’arbre mort.

Nous laisserons ici l’internaute-citoyen découvrir les quelques clichés qui illustrent cet article et qui modestement témoignent de l’intérêt que nous devrions porter à l’arbre mort remarquable.

Arbre mort en bord de route.

Les propositions de l’ONGE Forestiers du Monde®

 1 – La première proposition est légitimement celle qui consiste à préserver le maximum d’arbres morts sur pieds dans la mesure ou ils ne présentent pas de danger pour le public. Il reste cependant nécessaire de conserver, à la vue des citoyens et avec un périmètre de protection, ces arbres patriarches qui traversent les siècles et sont morts sur pieds afin que les jeunes générations d’écoliers et de citoyens puissent les observer, découvrir et comprendre l’utilité pour la nature et le bon fonctionnement de nos espaces naturels forestiers comme urbains de cette phase de mort de l’arbre.

  • En forêt, en l’absence d’arbres morts sur pied déjà présents, procéder dès à présent à la désignation de nombreux arbres sains destinés à mourir sur pied (au même titre que sont désignées les tiges d’avenir) et ne plus se contenter seulement des opportunités qui se présentent lors du parcours de la parcelle forestière (chablis, arbre foudroyé, arbre parasité, etc.) qui seront bien entendu également conservées. Sur chaque hectare de forêt devront être présents tous les stades de sénescence et de mort des arbres: gros vieux arbres sénescent, gros vieux arbres morts debout, gros vieux arbres gisant. La densité d’arbres morts par hectare devra être celle observée en forêt naturelle. La difficulté est maintenant de connaitre cette densité propre à chaque écorégion (méditerranée, atlantique, etc.) laquelle varie également en fonction des types de forêts (chênaie, hêtraie, hêtraie-sapinière, forêt de montagne, etc.). L’absence de données scientifiques disponibles aujourd’hui sur ce sujet fonde les actions de protection intégrale de grandes surfaces forestières, excluant toute autre activité humaine que celles liées à l’étude et à la recherche en écologie forestière.
  • En parc forestier urbain au sein desquels les arbres morts sont jusqu’à présent systématiquement retirés, procéder dès à présent et systématiquement à la désignation d’arbres sains destinés à mourir sur pied en délimitant un périmètre de sécurité afin de permettre aux écoliers, aux citadins d’observer les phases de sénescence et de mort des arbres. On découvrira alors dans quelque années combien ils sont utiles pour restaurer un équilibre entre les populations de la faune sauvage qui colonisent nos parcs urbains. Forestiers du Monde adresse dans ce sens une proposition à la ville de Dijon afin qu’un tel programme soit élaboré.

2 – Réaliser avec un photographe naturaliste et par une approche esthétique le premier album photographique dédié exclusivement à l’arbre mort. Les clichés devront susciter chez le lecteur l’émotion que procure la découverte et le spectacle d’un arbre mort sur pied en forêt comme en milieu ouvert, tout à la fois témoin d’une vie, de la vie passé et de la mort. Cet ouvrage comportera naturellement un volet pédagogique destiné aux écoliers afin de les sensibiliser à l’écologie forestière.

Aussi, lançons nous un appel aux citoyens internautes passionnés de photographie et qui accepteraient de nous faire parvenir leurs plus beaux clichés d’arbres morts afin de soutenir notre plaidoyer bénévole et citoyen en faveur de l’arbre mort. Pour tout contact, merci de nous écrire à l’adresse électronique: Forestiers-du-Monde.France@sfr.fr

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