Ce qu’on nomme « Etat », est-il incapable de tenir une politique durable ?
Pourquoi les meilleures intentions étatiques sont-elles ébréchées des décennies plus tard ?
C’est hélas le défaut de la République de prêter trop le flanc à ces critiques.
On va illustrer celles-ci par les récentes modifications du régime des forêts de protection.
D’abord, le lecteur doit savoir que s’il veut tout connaître sur ce régime, il trouvera sur notre site www.droitforestier.com, un livre consacré à ces forêts.
Nous nous en servons d’ailleurs pour le présent article.
Celui-ci sera en deux points, le passé, le présent.
Le passé
Nous allons tracer cette histoire à grands traits. Nous y voyons deux étapes. La construction, la démolition.
La construction du statut des forêts de protection.
L’origine se trouve dans la lutte contre l’érosion des montagnes, source d’inondations en plaine. La France avait du retard sur les pays de langue germanique quant aux lois qui protègent la forêt, et non uniquement les sols. Ce fut l’objet de la proposition de loi de M. Fernand David en 1907.
La guerre de 1914-1918 a interrompu l’Etat.
Ce sont la loi du 28 avril 1922, dite » loi Chauveau » et son décret d’application du 2 août 1923 qui pour la première fois dressent le statut des forêts de protection.
On notera que la nouvelle législation des forêts de protection est présentée comme un Code forestier concurrent du grand Code forestier de 1827. C’est dire l’ampleur de la réforme.
La loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature, eut la sagesse de poursuivre cette grande œuvre. Elle étendit son champ d’application aux forêts périurbaines.
La grande loi forestière du 4 décembre 1985 continua cette œuvre. Elle introduisit le gel des activités en préalable au classement en forêt de protection.
Un texte peu normatif, la circulaire du 12 mai 1992 affirma la pratique du classement progressif en forêt de protection des massifs les plus exposés.
Parachevant cette constante évolution, le décret 93-604 du 27 mars 1993 perfectionna le régime pénal concernant les tiers.
La première atteinte au statut des forêts de protection.
Pour l’an 2000 certains visionnaires nous avaient prédit bien des catastrophes.
Pour les forêts de protection, l’œuvre étant faite, on aurait pu s’en tenir là.
Mais c’est sans compter sur les lobbys divers. En 2005, celui de la « ressource eau » a introduit la législation de l’eau en forêt de protection, par de nombreux articles.
Que le non juriste sache que plus il y a d’articles dans une loi ou un règlement, plus la réglementation s’étend.
Le régime des forêts de protection, dès 1922, doit protéger la forêt, uniquement. Telle a été la volonté de l’Etat depuis l’origine. Il ne manquait pas d’autres textes pour protéger le sol, les rives des cours d’eaux, etc, à commencer par la très volumineuse législation du défrichement.
Or donc intervint la loi du 23 février 2005 qui introduit pour la première fois dans le régime des forêts de protection la législation de l’eau. Elle dispose que ce régime forestier spécial concerne aussi les travaux de recherche et d’exploitation par les collectivités publiques ou leurs délégataires de la ressource en eau.
Elle fut parachevée par son décret n° 2006-1230 du 6 octobre 2006 relatif aux travaux de recherche et aux captages d’eau dans les forêts de protection et modifiant le code forestier.
On ne discutera pas de l’intérêt de l’eau. Mais dans le régime des forêts de protection, il n’en n’avait jamais été question en cent ans. Il faut savoir ce que l’Etat veut.
Une nouvelle menace se profile aujourd’hui.
Le lobby des mines est des plus puissants, à toute échelle, y compris mondiale.
Celui des carrières l’est aussi, en moindre mesure.
Quand il s’attaque à la forêt, il semble toujours gagnant (voir l’affaire du Bois des Rochottes).
Dans la législation du défrichement, il a su faire passer un régime particulier favorable évidemment, en 1993, par la loi 93-3 du 4 janvier 1993 relative aux carrières.
Or, ne voilà-t-il pas que ce lobby persiste encore en s’attaquant aux forêts de protection ? On continue à démolir.
Le projet de décret qui porte atteinte au statut des forêts de protection.
Le projet de décret ici consultable dont la date n’est pas encore fixée, mais qui entrera en vigueur le 1er mars 2017 est « relatif au régime spécial applicable dans les forêts de protection ».
http://agriculture.gouv.fr/consultation-du-public-sur-un-projet-de-decret-en-conseil-detat-relatif-au-regime-special-applicable
Comme titre, on ne peut faire a) aussi imprécis b) aussi peu connaisseur du droit forestier. Le titre aurait du être : relatif au régime spécial des forêts de protection, en matière d’archéologie et de substances minérales et de tous autres travaux. Qu’on ait au moins l’honnêteté d’annoncer la couleur !
Quelles précautions pour sauvegarder la forêt ?
On ne fera pas un commentaire général de ce projet de décret, pour ne présenter que trois dispositions censées sauvegarder la forêt.
- Tout d’abord, le projet d’article R. 141-38-5 prévoit que les travaux sont autorisés par le préfet lorsqu’ils : … « 2° Ne modifient pas fondamentalement la destination forestière des terrains ; « 3° Ne sont pas susceptibles de nuire à la conservation de l’écosystème forestier ou à la stabilité des sols dans le périmètre de protection ».
« Fondamentalement ». Le mot fait juridiquement peur, car il est flou. Cela signifie en tous cas qu’on peut modifier la destination forestière (non fondamentalement).
« Susceptibles ». Le mot aussi est imprécis.
Disons notre pensée brute. Quand on introduit des mots comme cela, l’autorité de décision conserve un pouvoir voisin du discrétionnaire pour apprécier. Le droit recule. Il est à souhaiter que l’autorité soit indépendante, et protectrice de la mission d’Etat des forêts de protection.
- Ensuite, le projet d’article R. 141-38-5 prévoit que ces travaux sont constitués par :
« – Les emprises temporaires nécessaires aux travaux de recherche et aux travaux préalables à la mise en exploitation des ressources minérales qui sont déterminées de façon à limiter le plus possible l’occupation des parcelles forestières classées ;
« – Les équipements et les annexes indispensables à la sécurité de l’exploitation qui sont déterminées de façon à limiter le plus possible l’occupation des parcelles forestières classées, ainsi que leurs accès en surface qui sont établis, en priorité, dans l’emprise des voies ou autres alignements exclus du périmètre de classement ou, à défaut, dans celle des routes forestières ou chemins d’exploitation forestiers ». « Limiter le plus possible ». L’intention est louable. Le contrôle en est garant, à condition qu’il y ait la volonté, et les moyens, ce dont on doute fort. La localisation des voiries est un bon principe.
- Enfin, le projet d’article R. 141-38-6 prévoit que le préfet « peut fixer des prescriptions en vue de limiter les incidences des travaux sur la stabilité des sols, la végétation forestière et les écosystèmes forestiers ».
« le préfet peut ». Le verbe « pouvoir » est un classique qui favorise le pouvoir de l’autorité, et le recul du droit. On redira qu’il est à souhaiter que l’autorité soit indépendante, et protectrice de la mission d’Etat des forêts de protection.
« Végétation forestière ». Quand on sait le peu d’estime qu’on a en France pour le monde végétal1, le terme « végétation » est révélateur de cet esprit. On eut pu dire « peuplements forestiers ».
Conclusion
Nous reprendrons la phrase de Camille VIGOUROUX (Code forestier, commentaire critique, NEF, 1953) : « c’est avec une certaine tristesse que nous avons commenté ce passage », d’une évolution qui ne va pas dans le sens forestier du XXème siècle.
Alors, il nous reste, à défaut du règlement, la protection de loi, norme supérieure. L’article L. 141-2 du code forestier dispose :
« Le classement comme forêt de protection interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements ».
Et celle plus relative de l’article L141-3
« Dès la notification au propriétaire de l’intention de classer une forêt en forêt de protection, aucune modification ne peut être apportée à l’état des lieux, aucune coupe ne peut être effectuée ni aucun droit d’usage créé pendant quinze mois à compter de la date de notification, sauf autorisation de l’autorité administrative compétente de l’Etat ».
Tant que la loi, surtout l’article L. 141-2, n’est pas modifié, le principe des forêts de protection de 1922 demeure.
Les lobbys seront-ils assez forts pour le modifier ?
Et l’intérêt forestier pour le maintenir ?
Espérons-le au nom des forêts.
Rédacteur
Article rédigé par Michel LAGARDE, Docteur d’Etat en droit, spécialiste français du droit forestier et membre de l’ONGE Forestiers du Monde®. Retrouver Michel LAGARDE et l’ensemble de ses productions sur son site dédié www.droitforestier.com