Les origines,les fondements.
La législation des forêts de protection est dès l’origine liée à la lutte contre l’érosion. En effet, la dégradation des terrains situés en zone de montagne, génératrice d’un appauvrissement des sols mais surtout de crues dévastatrices pour les régions situées en contrebas, avait été à l’origine du mouvement législatif de la seconde moitié du XIXème siècle. Ce sont en effet les lois du 2 mars 1860, du 8 juin 1864, du 4 avril 1882 et du 26 juillet 1892 qui dressèrent le cadre fondamental de la politique de restauration des terrains en montagne, parachevée par les textes du XXème siècle.
Cependant, cette législation ne permettait pas d’intervenir pour classer des forêts, seuls les terrains menacés ou dégradés pouvant être protégés. Cette lacune de la législation française était d’autant plus évidente que d’autres États européens avaient comblé ce vide depuis longtemps par des dispositions adaptées dont l’Allemagne, la Suisse, et l’Autriche-Hongrie.
Une première proposition de loi avait été déposée en 1907 par le Député David sur le reboisement des montagnes, mais la première guerre mondiale a interrompu les travaux.
C’est donc après la guerre qu’intervient la loi du 28 avril 1922, dite » loi Chauveau » et son décret d’application du 2 août 1923 sur les forêts de protection.
Cette législation nouvelle est présentée comme un Code forestier concurrent du grand Code forestier de 1827.
En effet, alors qu’aujourd’hui le régime des forêts de protection n’est qu’un régime parmi d’autres dans notre Code forestier, l’intention du législateur de 1922 est d’en faire une réglementation à part concurrente. En témoigne l’article 1er de la loi qui dispose :
» Les bois et forêts seront classés en deux catégories : 1) Forêts de protection soumises, pour cause d’utilité publique, au régime prévu à l’article 3 ; 2) Forêts soumises aux seules dispositions du Code forestier. »
Cette volonté de créer un régime distinct se manifeste par l’appellation de » régime forestier spécial » donnée aux règles qui gouvernent la gestion des forêts de protection.
Les mesures les plus caractéristiques de ce régime forestier spécial sont les suivantes. Tout d’abord, on adopte un classement individuel, forêt par forêt, sur la base de critères fonctionnels. Ceux-ci concernent la lutte contre l’érosion, les avalanches, l’envahissement des eaux et des sables.
Le régime forestier spécial s’applique à la quasi-totalité des activités s’exerçant sur le sol forestier.
Un des traits les plus remarquables est l’aggravation des sanctions pénales. Le législateur de 1922 s’est basé sur les infractions relatives au régime forestier (le droit des forêts publiques), mais en a systématiquement augmenté les sanctions.
De surcroît, le propriétaire qui commettrait une infraction tombe sous le coup des sanctions prévues. Ce point est une innovation de taille, puisqu’un acte d’un propriétaire sur sa propriété devient une infraction pénalement répréhensible.
Ce régime comporte des garanties pour les propriétaires. La première est la possibilité d’être indemnisé pour baisse de revenu. La seconde est, en cas de perte de la moitié de ce revenu découlant du classement en forêt de protection, le droit de demander à l’Etat l’acquisition de la forêt. C’est ce que l’on appellerait de nos jours un » droit de délaissement « .
Symétriquement, l’Etat peut exproprier le propriétaire. A ce point, le législateur parvient évidemment au stade ultime de l’interventionnisme. Mais le manque de moyens budgétaires ne concrétisera pas ce moyen d’action.
A ces diverses sujétions, le décret d’application ajoute le droit pour l’administration d’exécuter dans les forêts classées les travaux qu’elle juge nécessaires.
La sévérité des ces règles, la lourdeur du contrôle nécessaire à leur application, ainsi que le coût de l’indemnisation et de l’expropriation furent à l’origine de leur application restreinte. La loi de 1922 a été appliquée essentiellement dans les Pyrénées, particulièrement dans le département de l’Ariège, et dans une moindre mesure dans les Alpes.
Quelques années après sa promulgation, la loi de 1922 entrait donc dans le corps des mesures d’intervention en forêt privée qui dorment au fond des livres du Code forestier, dans l’attente de quelque renouveau.
Celui-ci se manifesta dans les années mille neuf cent soixante dix, sous une forme sans doute totalement imprévisible pour les initiateurs de la loi. En effet, dans l’après-guerre, le développement urbain rendit nécessaire la réalisation ou la maîtrise d’espaces verts ou forestiers. Les forêts périurbaines furent de plus en plus considérées comme des accessoires indispensables des villes. Leur ouverture au public et leur aménagement ne posent guère de problèmes quand il s’agit de forêts domaniales.
Il en va tout autrement des forêts communales et surtout des forêts privées qui, par définition, ne sont pas ouvertes au public, sauf consentement de leurs propriétaires. Or les oppositions manifestées par ceux-ci face à une véritable invasion souvent incontrôlable, ou les difficultés pour élaborer des conventions conciliant le respect de la propriété, les besoins sociaux, et les charges financières des parties, montrent les limites de la politique contractuelle, et la nécessité de détenir un moyen de droit plus impératif.
Ce moyen n’existait pas dans le Code forestier qui ne s’est jamais intéressé aux forêts en tant qu’accessoires des villes. On songea alors à la vieille législation des forêts de protection. La loi Chauveau n’offre-t-elle pas la possibilité d’un contrôle total de la gestion d’une forêt, sans aller nécessairement jusqu’à l’expropriation ? Il fallait cependant ajouter de nouveaux motifs de classement aux motifs initiaux cantonnés pour l’essentiel aux zones en pente et en montagne.
Ce fut l’œuvre de la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature, et des décrets 78-808 du 1er août 1978 et 79-812 du 19 septembre 1979
Au titre de la loi, le classement d’une forêt en forêt de protection peut désormais être réalisé du seul fait que la forêt est située à proximité d’une grande ville, ou quand son maintien s’impose pour des raisons écologiques ou pour le bien-être de la population.
Quant aux décrets cités, ils autorisent désormais l’administration à contrôler dans les forêts de protection la circulation du public.
A la suite des lois de décentralisation de droit commun, une question se posait : fallait-il décentraliser les dispositions du Code forestier ? Il est certain que ce Code constitue l’exemple même de la centralisation. Un vieil adage forestier ne dit-il pas que » les communes sont seulement usagères en leurs propres forêts ? « . Ces anciennes dispositions du Code, au passé millénaire, et faisant périodiquement l’objet de critiques – car telle est la mode des temps – devaient-elles être revues ? Fallait-il mettre à bas cet édifice alors qu’il avait réussi à conserver et à étendre les forêts jusqu’au point où nous les connaissons aujourd’hui, face aux appétits trop souvent locaux, et hélas parfois aussi nationaux ?. Le législateur a eu la sagesse de ne pas s’engager dans cette voie.
Le régime des forêts de protection n’a donc pas été décentralisé. C’est à ce titre qu’il constitue aujourd’hui un outil essentiel – peut-être le seul en forêt privée – de protection des forêts de toute taille, face aux variations aléatoires des documents d’urbanisme. La forêt a besoin d’un long terme, face aux préoccupations immédiates de notre époque. Cette leçon n’est pas nouvelle.
La loi forestière du 4 décembre 1985 a donc apporté une seule modification : une mesure conservatoire. Elle consiste à geler toutes les activités en forêt dès la notification au propriétaire de l’intention des autorités de classer sa forêt en forêt de protection. Cette interdiction (sauf autorisation) est cantonnée à une période de quinze mois faisant suite à la notification.
La circulaire du 12 mai 1992 (derf/SDEF/n°92-3011) établit une politique de conservation, d’extension et de gestion des forêts périurbaines. Parmi les nombreuses mesures l’État prévoit le classement progressif en forêt de protection des massifs les plus exposés.
Cette affirmation du souci de classer les forêts situées à proximité des grandes agglomérations ne doit pas masquer que, parallèlement, un renouveau se manifeste dans le classement des forêts pour d’autres motifs. C’est particulièrement le cas des forêts ripuaires rhénanes.
(On écarte ici le perfectionnement du régime pénal concernant les tiers par le décret 93-604 du 27 mars 1993).
La loi nº 2005-157 du 23 février 2005 art. 224 I (Journal Officiel du 24 février 2005) introduit pour la première fois dans le régime des forêts de protection la législation de l’eau. Elle dispose que le régime forestier spécial concerne aussi la recherche et l’exploitation par les collectivités publiques ou leurs délégataires de la ressource en eau. Elle détermine après dans un nouvel article L. 412-2-1 à quelles conditions ces travaux peuvent être réalisés.
La traduction réglementaire de cette nouvelle orientation est apportée par le décret n° 2006-1230 du 6 octobre 2006 relatif aux travaux de recherche et aux captages d’eau dans les forêts de protection et modifiant le code forestier introduit dans le régime des forêts de protection cette matière concernant la « ressource en eau ». [1]
Le décret actuel n°2018-254 du 6 avril 2018
Sous l’effet des lobbies des mines et carrières[2], a été pris le décret n° 2018-254 du 6 avril 2018 relatif au régime spécial applicable dans les forêts de protection ici consultable prévu à l’article L. 141-4 du code forestier.
Informée à temps de la parution du décret ( !) [3], l’association Forestiers du Monde a jugé que ce décret portait une atteinte nouvelle aux buts de la loi Chauveau de 1922 sur les forêts de protection.
Dans le délai de deux mois imposé pour tout recours contentieux administratif, l’Association a attaqué devant le Conseil d’Etat[4] le décret n° 2018-254 du 6 avril 2018. Elle en demandait l’annulation totale.
L’instruction s’est déroulée, et le ministère de l’agriculture n’a pas négligé ce dossier, il a abondamment répliqué.
Le Conseil d’État a rendu son arrêt le 18 décembre 2020 ici consultable.[5]
Il valide l’intervention de l’Association, mais ne lui donne raison que sur un point. En ce sens, c’est évidemment une victoire pour les défenseurs de l’écologie forestière.
Mais il ne faut pas pour autant baisse la garde. Car tout d’abord, l’annulation obtenue ne concerne que les fouilles archéologiques, et pas l’exploitation minière ou de carrière.
Et pourquoi le Conseil d’État n’a-t-il pas annulé aussi, pour les mêmes raisons l’article équivalent qui concernait l’exploitation minière ou de carrière ? A savoir l’article R. 141-38-9 du code forestier
Il y a là un oubli inadmissible en toute impartialité, et révélateur des intérêts en cause.
Nous regrettons aussi la procédure d’autorisation implicite[6], qui ne devrait pas exister en matière d’écologie.
L’article le plus précieux de l’ancienne loi Chauveau de 1922 est actuellement le suivant :
« Article L. 141-2. Le classement comme forêt de protection interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements ».
Rien ne peut être fait en forêt de protection qui compromette la conservation ou la protection des boisements.
Que cette loi vienne à être modifiée dans un sens autre que forestier, et tout l’édifice Chauveau s’écroule.
Par ailleurs il serait temps de savoir quelle est la place que la France veut accorder aux forêts, et aux forêts de protection.
Force est de remarquer que les scolytes réglementaires, par décret ou arrêté, minent progressivement l’édifice législatif ou réglementaire du Code forestier.
Et s’il n’y avait pas des associations de citoyens actifs et opiniâtres, la situation de l’écologie serait pire encore.
[1] Voir notre article, « Recherche et captage d’eau en forêt de protection », La Forêt privée, n° 296, pp. 65 à 73.
[2] Nous savons de source officieuse, et on pouvait s’en douter, que certains intérêts des mines et carrières étaient à l’origine du décret par personnes interposées. Ainsi va la démocratie, mais le lobbying est officiel au plus haut niveau. Même anti-écologique bien sur.
[3] On ne peut attaquer un acte administratif comme un décret, que dans un délai de deux mois de sa parution au Journal Officiel. Comme ce journal est informatisé, il y a très peu de personnes qui le lisent tous les jours ! Il y a donc là un problème très important, et l’on a régressé par rapport à l’ancienne version papier.
[4] On ne peut attaquer un décret réglementaire du premier ministre que devant le Conseil d’État, premier et dernier ressort. Protection spéciale accordée au chef du gouvernement (et au chef d’Etat).
[5] CE 18 déc. 2020, Association Forestiers du Monde, req. n° 424290.
[6] Article R. 181-33-1 c. for. et paragraphe 8 de l’arrêt du Conseil d’Etat.
Rédacteur
Note rédigée par Michel LAGARDE, Docteur d’Etat en droit, spécialiste français du droit forestier et membre de l’ONGE Forestiers du Monde®. Retrouver Michel LAGARDE et l’ensemble de ses productions sur son site dédié www.droitforestier.com