Nous voudrons raconter ici une affaire récente dans laquelle l’ONGE Forestiers du Monde® a esté en justice pour la défense d’une forêt publique. Forestiers du Monde® a confié cette affaire à l’un de ses membres, a savoir Maître Michel LAGARDE, Docteur d’Etat en Droit, Maître de Conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour,Avocat à la Cour, ancien Professeur de législation forestière à l’ENGREF.
L’affaire n’ayant pas été jugée, nous en respectons l’anonymat.
On peut comprendre, même si cela n’est pas officiellement évoqué, qu’une forêt de plus de cent cinquante hectares, dans la proximité d’une grande agglomération puisse tenter certains intérêts.
Doit-on rappeler qu’il s’agit là d’une constante, et que voici presque un demi-siècle dans un numéro spécial, l’Actualité Juridique de Droit administratif publiait l’article du professeur Robert Charles, intitulé « Les limites de la production de terrains à bâtir au détriment de la forêt, le défrichement » (AJDA, 20 mai 1979, Doctrine p. 65-68.).
Les faits
En février 2016, un conseil municipal adopte une délibération par laquelle il autorise le Maire à : a) procéder à la vente des parcelles de la forêt communale précisées à la délibération ; b) demander la distraction du régime forestier desdites parcelles pour une surface supérieure à 150 ha ; c) signer tous documents utiles en cette affaire et généralement faire le nécessaire.
Forestiers du Monde® demande communication de la délibération.
Une habitante de la commune fait de même, en exprimant son désaccord avec le projet de vente de la forêt communale, au nom notamment de l’équilibre entre les occupations du sol, outre l’intérêt des dépendances naturelles.
Le maire répond en : a) communiquant la délibération ; b) exprimant l’idée que si l’urbanisation se développe vers une métropole proche, sa commune l’a toujours limitée ; c) rappelant que la forêt est à dix kilomètres « d’ici », que « son usage ne peut être que forestier ». d) que le PLU est désormais de la compétence de la métropole.
L’attaque
La présidence collégiale de Forestiers du Monde® prend contact avec nous et décide de nous confier cette affaire.
Le délai de saisine du tribunal administratif étant épuisé (deux mois), nous conseillons une autre stratégie juridique basée sur le « retrait ».
En novembre 2016, Forestiers du Monde® adresse par courrier simple au Maire un courrier par lequel elle soutient que la délibération est illégale ; qu’elle demande au Maire de la retirer ou de demander au conseil municipal de procéder au retrait ; qu’elle demande au Maire sa position ; que le cas échéant l’association saisira la juridiction.
Forestiers du Monde® réitère cette demande par Lettre Recommandée avec Avis de Réception (LRAR) en décembre.
Le maire, prudent ou bien conseillé, répond que la délibération n’a pas été remise en cause par le contrôle de légalité ; que si l’association a des arguments sérieux, il lui est demandé de le faire savoir.
Début 2017, Forestiers du Monde® adresse au maire un courrier par lequel elle : a) rappelle que dans sa première demande, il avait été demandé le retrait de la délibération ; b) que le Maire n’a pas répondu à la demande de retrait, et que la réponse doit donc s’analyser comme un refus implicite de retrait ; c) que dans les deux mois l’association saisira le juge ; d) que si le conseil municipal retire la délibération, l’association annulera son action.
Corrélativement, l’habitante précitée adresse au Maire un courrier par lequel elle s’associe pleinement à l’action de Forestiers du Monde® pour conserver la forêt communale dans le patrimoine de la commune.
Notre requête
- Sur le délai contentieux
On passera sur ces questions, techniques.
On rappellera toutefois que bien des actions juridiques sont enserrées dans des délais, et que faute de les exercer dans ce délai, elles se perdent.
Les délais peuvent être courts, par exemple deux mois, comme en l’espèce.
- Sur le fond
Il faut multiplier les moyens, sérieux, pour augmenter les chances de succès.
Et par ailleurs, c’est le travail du bon juriste que de repérer les failles.
Nous en avons trouvé deux, dont le second est le plus important, et de taille.
Premier moyen. Contradiction entre motivation et dispositif
Dans les motivations de la délibération attaquée, il était marqué :
« …il est demandé au conseil municipal d’autoriser la vente de ce bien avec l’obligation pour l’acquéreur d’en conserver la vocation forestière et son caractère actuel ».
Or, le dispositif de la délibération était :
« Le conseil municipal, après en avoir délibéré,
. autorise Monsieur le Maire à procéder à la vente des parcelles énoncées ci-dessus,
. autorise Monsieur le Maire à demander la distraction du régime forestier des parcelles énoncées ci-dessus représentant une surface totale de …,
. autorise Monsieur le Maire à signer tous documents utiles en cette affaire et généralement faire le nécessaire.
Il est donc explicite qu’en autorisant le Maire à procéder à la vente, sans autre précision, il n’est lui fait aucune obligation de rappeler à l’acquéreur l’obligation d’en conserver la vocation forestière, et plus encore, son caractère actuel.
Le dispositif n’est donc pas conforme à la motivation, ce qui rend la délibération entachée d’un vice interne, de nature à en rendre le retrait obligatoire.
Second moyen. Tromperie de la motivation
Dans les motivations de la délibération attaquée, il est marqué :
« …il est demandé au conseil municipal d’autoriser la vente de ce bien avec l’obligation pour l’acquéreur d’en conserver la vocation forestière et son caractère actuel ».
Il est manifeste qu’en délibérant sur cette base, les conseillers municipaux ont cru que leur délibération allait entrainer de plein droit la conservation de la forêt, et en plus dans son état actuel …
Il apparaît que cette motivation est essentielle, car elle touche à l’existence même de la vocation forestière du sol, et donc à celle de la forêt.
Or, il ne leur a pas été expliqué que :
– le code forestier depuis 1827 se divise en deux parties, l’une pour les forêts publiques, l’autre pour les forêts privées.
– que les forêts publiques, dont celle de l’espèce, bénéficient du régime forestier, c’est-à-dire d’une police administrative qui assure sa conservation et sa gestion.
– que la distraction que le Maire est autorisé à demander, a justement pour effet de faire cesser le régime forestier.
– que par suite, comme le Maire en est chargé, la forêt peut être aisément vendue.
– que si elle est vendue à une personne privée, elle devient forêt privée.
– que le défrichement en forêt privée est chose plus facile que si la forêt est publique.
– qu’en effet, si elle est publique, elle est soumise à une double formalité : à la nécessité d’une autorisation spéciale préfectorale, et d’un arrêté ministériel de distraction. Que l’article R. 214-30 du code forestier résume bien cela, et l’esprit des textes très restrictifs :
Article R. 214-30. « Lorsque la demande est présentée sur le fondement de l’article L. 214-13 et dans les formes mentionnées aux articles R. 341-1 et R. 341-4, l’autorisation est accordée par le préfet et, si cette demande porte sur des bois et forêts relevant du régime forestier, après avis de l’Office national des forêts. Elle ne prend effet qu’après l’intervention, lorsqu’elle est nécessaire du fait des conséquences définitives du défrichement, d’une décision mettant fin à l’application du régime forestier aux terrains en cause.
Sous réserve des dispositions de l’article R. 214-31, la demande d’autorisation est réputée rejetée à défaut de décision du préfet dans le délai de deux mois à compter de la réception du dossier complet ».
– qu’en outre le Maire peut être sanctionné pénalement (v. art. L. 261-12 c. for.).
Le Maire ne pouvait ignorer tout cela, puisque dans les motifs il est dit :
« Cette vente nécessite de demander la distraction … du régime forestier ».
Et que dans le dispositif il est habilité à demander la distraction !
Et voici notre conclusion essentielle : il apparaît donc que sur l’objet même de la délibération, les conseillers municipaux ont été amenés à croire que leur délibération ne pouvait remettre en cause la destination forestière de la forêt communale vendue.
Qu’il y a là une tromperie sur la nature même de la délibération.
Que cette tromperie a vicié le consentement populaire du conseil municipal, et que par suite la délibération est illégale, et doit être retirée.
(pour le fondement juridique de cela, on renvoie à un commentaire de d’une encyclopédie juridique « L’assemblée doit enfin être exactement informée. La portée de ce principe ne doit pas toutefois être exagérée. Il ne signifie nullement que la validité des délibérations serait subordonnée à la circonstance que le conseil aurait, avant de manifester sa volonté, reçu toutes les informations objectivement utiles à éclairer l’opinion de ses membres. Une telle exigence impliquerait une perfection qui ne peut être envisagée. Le principe signifie simplement que le conseil ne doit pas être tenu, sciemment, notamment par le Maire, dans l’ignorance de certains éléments d’information ou faits susceptibles d’influer sur le sens de sa manifestation de volonté (Cons. d’État, 15 février 1961, Couquet : Rec. Lebon, p. 119). A plus forte raison ne doit-on par lui communiquer sciemment des informations inexactes. L’exigence d’une information exacte doit donc s’entendre seulement d’une information non sciemment tronquée ou fausse.
Conclusions devant le tribunal administratif
Pour ces motifs, nous demandions le retrait de la délibération.
Les suites
Le tribunal étant saisi, nos arguments étant connus, le conseil municipal et son maire ont préféré abroger la délibération.
Le juge a donc constaté un non lieu à statuer.
Notre but était donc atteint, en faisant l’économie d’un contentieux, et en gagnant aussi plus d’une année de procédure.
Par la suite, le conseil municipal a pris une autre délibération par laquelle il vendrait la forêt à une autre commune.
Il convient là encore d’être vigilant, et c’est toute la question juridique de la distraction du régime forestier, sujet délicat, qui se pose.
Conclusion
La vigilance des citoyens et de leurs associations est essentielle à la vie démocratique.
La présente espèce montre, une fois de plus, qu’une bonne argumentation juridique, à l’appui de cette vigilance, peut faire reculer le Pouvoir.
Qu’en outre, si les citoyens ou associations manquent de moyens notamment financiers, face aux lobbies, elles ont un atout de taille, le temps. Nous avons l’expérience que gagner du temps est fondamental face aux intérêts économiques.
Pour les forêts publiques, objets de bien des appétits, tout ceci est essentiel.
Pour d’autres citoyens, qu’ils en retirent profit.
Article rédigé par Michel LAGARDE, Docteur d’Etat en Droit, Maître de Conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour,Avocat à la Cour Ancien Professeur de législation forestière à l’ENGREF et membre de l’ONGE Forestiers du Monde®
Vous pouvez retrouver toute l’actualité de Michel LAGARDE sur ses sites internet
exposé très clair et facile à lire ; merci pour ce cours de droit !